C’est une histoire tellement banale, pathétique, commune, répandue, celle de la femme bafouée. Mais quand cela vous arrive à vous, ces qualificatifs n’ont plus lieu d’être !
Quand vous découvrez la vérité sur ce qu’est votre vie, vous la trouvez soudainement extraordinaire. Pitoyablement extraordinaire !
Lorsque vous apprenez que la personne en laquelle vous aviez le plus confiance est en fait celle qui en est la moins digne, votre monde s’écroule. Un gouffre immense apparaît soudain sous vos pieds comme une injection de Digoxine surdosée qui provoque un arrêt cardiaque immédiat. Manquerait plus que le docteur Mamour pour vous réanimer… Malheureusement, mon docteur beau gosse à moi était occupé à faire du bouche à bouche et masser de thorax de quelqu’un d’autre.
Thomas, c’était mon premier amour. Celui qu’on rencontre à seize ans au lycée et avec lequel on grandit. Je pensais aussi vieillir avec lui. Il avait deux ans de plus que moi et donc une longueur d’avance sur l’évolution professionnelle. Altruiste, comme moi. Infirmier, comme moi. Sincère, comme moi (enfin je le croyais).
Je me souviens de ma joie lorsque, fraîchement diplômée, j’avais su que j’étais recrutée dans le même service que lui. J’ai également en mémoire sa mine déconfite lorsque je lui avais annoncé la nouvelle. Nous étions alors dans notre cuisine, en train de préparer le dîner. Il était tellement troublé qu’il s’était coupé le bout du doigt en épluchant un oignon. Je ne m’étais pas vraiment posé de question sur ce qui pouvait motiver une telle gène. De toute façon, l’issue aurait été la même. Seul le temps écoulé depuis aurait changé…
Et puis, mes premiers jours dans ce service de réanimation aux technicités multiples et son comportement à lui, froid et distant. A l’opposé de ce que j’aimais de lui depuis plusieurs années. Là non plus je ne lui avait pas demandé d’explications. Je m’étais résolue à l’idée que je découvrais une nouvelle facette de Thomas, sa conscience professionnelle le poussant à me traiter comme une consoeur lambda. Les regards de mes nouvelles collègues étaient, pour certains, chargés de pitié (mais ça je ne le compris qu’après) et pour d’autres, quelques peu méprisants. Je me souviens surtout de ses yeux à elle, au début. Ils étaient complètement différents de ceux que je garderai en mémoire. Le regard auquel je pense encore fréquemment, c’est celui, victorieux, qu’elle affichait lorsque je les avais surpris, elleet mon homme en sous-vêtements dans mon lit, notre lit. Celui que nous partagions depuis six ans. J’avais compris, à cet instant, la signification de tous ces regards à l’hôpital.
Quand ton mec se tape une de tes collègues sous ton nez depuis plus d’un an, il y a de quoi avoir pitié d’une pauvre fille comme moi…
Même moi je me suis détestée. Et encore plus après : les cris, les pleurs, le dégoût, l’ultimatum, les supplications, le choix, la vérité et le départ. Un parcours si nouveau pour moi mais tellement commun à beaucoup de personnes, hommes et femmes confondus.
Bref pour résumer, Thomas m’a quittée pour une petitepouffiasse blonde dont la simple évocation du prénom me donne envie de dégobiller : Sabine. Ça y est j’ai vomi
Je racontai tout ça à une Charlène au regard fixe dont parfois quelques « l’enfoiré » ou « mais quelle cruauté » venaient déranger l’intensité compatissante.Et oui, j’avais fui parce que je ne savais que faire d’autre. Continuer à travailler avec celui que j’aimais toujours et qui affichait désormais ouvertement sa relation avec une consœur ? Non merci.
Retourner vivre chez mes parents et subir l’impatience d’un homme qui me pressait de remballer au plus vite mes affaires pour qu’une blondasse y mette les siennes à la place? Non plus.
J’avais tenu trois mois dans ce mélodrame à la Grey’s Anatomy puis j’étais partie. Mon recrutement dans ce nouvel hôpital situé dans la ville voisine n’avait pris que deux semaines. Le temps de trouver un logement à côté et de tourner une page pour passer au chapitre suivant.Alors oui, finalement, j’avais des choses à cacher aux vipères et non, je ne me laisserais pas séduire par un collègue de travail. Je ne me laisserais plus jamais séduire par qui que ce soit d’ailleurs.
Mon métier était mon salut, mes premiers pas marchés après un marathon, le Doliprane qui achevait mes maux de têtes, mon atterrissage en douceur après un vol plein de turbulences, ma solution pour reconstruire petit à petit ce que Thomas et Sabine (re-vomi) avaient émietté et piétiné.
Je terminai ce premier jour en autonomie sur des aveux qui me forçaient à revenir sur un passé que je voulais effacer. Si Charlène avait réellement eu les pouvoirs de Joséphine,l’ange gardien, j’aurais vraiment aimé qu’elle offre un billet d’avion à destination de l’Oubli à ce poids que je traînais derrière moi.
Je rêvais alors à un avenir plus léger, comme une plume blanche se laissant porter par le vent avec douceur et grâce. Malgré une matinée difficile, je venais de passer une nouvelle étape importante ce jour-là : j’étais autonome. Un peu lente, d’accord, mais autonome !
A chaque jour son lot de nouveautés, je m’endormis ce soir-là en me demandant quelle serait la prochaine étape importante pour mon évolution dans ce service de chir molle : une réa, une formation, de nouvelles rencontres ? … L’avenir me dirait très rapidement quel serait mon prochain « Jour J »….