Joyeux Noël Anouchka !

Chaque année, c’est la même chose, j’ai toujours cette chanson dans la tête.

« Vive le vent ! Vive le vent ! Vive le vent d’hiver ! »

Je préfère celle-là à la mélancolique et soporifique « Douce nuit » interprétée par Tino Rossi. Belle voix mais ce soir, c’est de punch dont j’ai besoin !

 Vingt minutes après avoir embrassé chaleureusement mes trois enfants et ma mère qui dort chez moi pour l’occasion, je suis déjà en train de me changer dans le vestiaire. Mes sacs remplis de mets délicieux et d’une bouteille de champagne (chut, il ne faut pas le dire, c’est interdit à l’hôpital). L’idée que je passerai cette nuit avec mes amies me console un peu des sentiments d’abandon et de culpabilité que je ressens à l’égard de mes enfants. Même si du haut de ses quinze ans, ma fille ainée m’a dit que mon absence le soir de Noël ne leur posait pas de problème, qu’avec son frère et sa sœur, ils y étaient habitués et qu’ils savaient que mon métier dont ils sont si fiers, incluait, entre autres, la contrainte de mon absence lors des fêtes de Noël et autres jours fériés. Je me dis que ma place est auprès d’eux. Je leur ai consacré ma vie et je le ferai pour toujours. Je suis infirmière de nuit en cardiologie depuis plus de dix ans, diplômée depuis dix-sept. Ce poste nocturne je l’ai choisi, on ne me l’a pas imposé comme peuvent le penser certaines personnes à qui je parle de mes contraintes horaires et dont je perçois l’empathie emprunte de pitié dans le regard. J’aime ce que je fais et mes horaires m’ont permis d’élever mes enfants et de les choyer. Pour eux, jamais de centre de loisirs ou d’étude après l’école, une maman présente devant l’école à seize heures trente, chaque jour. Notre complicité aujourd’hui est le résultat, je pense, de cet investissement instinctif que je leur ai accordé.

Travailler la nuit, veiller le jour, mon credo.

J’ai besoin des deux pour mon équilibre. Mes enfants, mes trois merveilles qui me comblent plus que je n’aurais jamais pu l’imaginer. Et ma vie la nuit avec mon autre famille. Ces personnes qui sont passées de collègues à copains puis amis pour aboutir au glorieux titre de famille de cœur, de ces gens qu’on aime inconditionnellement, avec ses tripes.

Nous avons tant partagé. Le meilleur comme le pire. Les décès sont nombreux en cardiologie. Ce n’est pas pour rien qu’il existe des unités de soins intensifs pour cette spécialité. Le pire me hante encore parfois… Ce jeune homme de trente ans qui venait de se marier et s’apprêtait à partir en voyage de noces. Le sourire de sa femme sur la photo qu’il avait posée sur sa table de chevet et qui nous regardait pendant que je massais son cœur pour l’inciter à repartir, à battre à nouveau afin qu’il puisse profiter de la belle vie dont il rêvait. Il était décédé quelques jours plus tard malgré la chirurgie cardiaque pratiquée en urgence. Nous étions là, dans un même combat, avec mes sœurs et frères d’armes. Mes collègues infirmiers et aides-soignants. Ceux qui choisissent, comme moi, cette vocation par envie de soutenir son prochain dans les moments les plus vulnérables de sa vie. Ceux-là mêmes qui défilent et manifestent dans les rues des plus grandes villes de France pour revendiquer un peu plus de reconnaissance. De la gratitude pour les mains tendues, les sourires donnés le soir de Noël, les nuits et fêtes familiales diverses passées en blanc, à l’hôpital.

Soudain, la chanson « Dreaming of a white Christmas » prend tout son sens. Surtout ce soir. Moi, je suis en blanc toute l’année. Noël ou pas.

Ce soir je prends l’ascenseur pour rejoindre le troisième étage de l’hôpital. Mes sacs sont trop lourds et volumineux pour que l’idée de prendre les escaliers ne m’ait ne serait-ce qu’effleuré l’esprit. Dans quelques heures, après le premier tour de soin, nous installerons des tables entre le service voisin et le nôtre et nous partagerons un repas de Noël (sans champagne, je vous le rappelle) rythmé par les sonnettes des patients qui appellent, les injections d’anticoagulants et divers soins à administrer à heure fixe. Mais surtout, ce diner peu conventionnel sera animé par nos échanges chaleureux, nos rires fusionnels et notre complicité si intense.

White Christmas, Noël blanc. Noël en blanc pour moi. Une couleur si pleine de positivité. La pureté, l’innocence et la perfection.

J’entre dans le service et les sourires lumineux de mes collègues, dont certains sont chapeautés de rouge et blanc, me confirment ce que je pensais : je vais passer Noël en famille. Un réveillon blanc, plein d’amour et de nouveaux souvenirs à fabriquer. Un Noël hospitalier.

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