Je galère toujours à nouer ce satané cordon derrière ma tête ! C’est vrai ça ! C’est pas naturel de devoir réaliser un nœud puis une boucle parfaite à l’envers avec autant de visibilité qu’une taupe dans le labyrinthe d’Alice au pays des merveilles ! Quand on voit le temps que met un enfant à apprendre les rudiments du laçage de chaussures…
Bon OK, je ne suis plus une gamine et ça fait maintenant… 4 ans que je répète le même rituel tous les matins : enfiler ma tenue bleu garagiste, mon calot de bloc (aujourd’hui j’ai choisi celui avec les flamants roses pour compenser le ciel gris qui m’a accompagnée sur le trajet de l’hôpital), et enfin, ce masque à nouer derrière la tête… en 2 points en plus !!!!
Allez, calme-toi Juliette, tout va bien se passer…
Bingo ! J’ai enfin réussi sous les regards amusés, mais compatissants de mes collègues. Un dernier sourire avant de partir chacun dans une direction différente. À peine arrivés, déjà séparés. Les moments collectifs sont rares. Je n’en avais pas conscience à ce point lorsque j’ai pris mon poste, la notion de solitude n’était pas au programme. Même si on travaille en équipe et qu’il y a la continuité des soins et patati et patata… Lorsque le médecin anesthésiste a poussé les drogues pour sédater le patient et qu’il passe dans une autre salle de bloc pour endormir quelqu’un d’autre, je suis seule à la tête de mon opéré … De l’autre côté du champ, chirurgiens, internes et IBODES (infirmières de bloc opératoire) s’activent, mais moi j’attends, je surveille, seule.
Parfois je m’évade…
Aujourd’hui, après avoir intubé ma première patiente de la matinée, je me remémore mon tout début de carrière, il y a bientôt 13 ans (ouille, ça pique).
J’étais jeune diplômée et j’avais choisi un service de soins intensifs pour débuter. Lorsqu’on sait que ce qui m’a séduite dans cette unité, c’est l’esprit de famille qui s’en dégageait, les fous rires avec mes collègues, le travail en équipe, les batailles d’eau ou encore la solidarité à toute épreuve, je me dis qu’il y a un pont en piteux état entre le poste que j’occupais à l’époque et celui que j’ai aujourd’hui.
C’est aussi dans ce premier service que j’ai vécu le pire événement de ma carrière : l’annonce d’un décès à une famille. De désespoir, un des fils du patient décédé s’était mis à se cogner la tête contre le mur de la chambre pendant que son frère agrippait la barrière du lit de son père si violemment qu’il avait blessé une de mes collègues qui tentait de le calmer. Et le comble par-dessus tout ça, c’est que la fille du défunt, présente aussi, avait fait un malaise avec perte de connaissance et trauma crânien. Et le tout en même temps ! Cette scène restera gravée dans ma mémoire pour toujours, je crois. J’avais eu un tel sentiment d’impuissance…
Que les choses soient claires : j’aime mon métier et je pense vraiment être compétente.
Je suis organisée, j’ai confiance en moi et je sais porter des diagnostics cliniques rapides et pertinents. Et puis l’indépendance due à mon poste m’impose une stimulation intellectuelle permanente. Je dois rester vigilante afin d’éviter le moindre incident anesthésique.
C’est juste que ma pratique est, disons, assez linéaire. Cela ne m’empêche pas de vivre de beaux moments : une rencontre, un échange, un mot, avec un patient ou une famille. Un instant qui pourrait sembler anodin, mais qui finalement me touche tellement que ça change quelque chose en moi…Un petit rien que je n’oublie jamais. Je crois que c’est ça la richesse de mon métier et le fait que j’aie ajouté un « A » à ma qualification n’y change rien…
Les politiques de gestion hospitalière auront beau faire passer l’économie avant le bien-être du patient de manière de plus en plus vicieuse, ce qui persistera toujours pour moi, c’est l’humanité. Les fous rires entre collègues qui renforcent l’esprit d’équipe, l’amour de la vie et des autres, l’empathie légendaire dont on parle en évoquant le monde paramédical et qui n’est pas un mythe pour moi. Oui, je crois que c’est cet amour qui m’a poussée à faire un tel choix de carrière.
D’ailleurs, je ne vois pas quel autre métier je pourrais exercer, à part peut-être vétérinaire (je resterais dans le soin à part que mes patients seraient moins bavards et plus poilus. Quoique…). J’espère, mais je n’ai pas trop de doutes sur le sujet, que mon métier d’infirmière anesthésiste me permettra de vivre encore de belles aventures humaines et professionnelles.
Je m’appelle Juliette et aujourd’hui, je porte mon calot à flamants roses.
Superbe récit plein d’humilité.
Merci 🙂 Juliette est comme ça dans la vraie vie . Une excellente soignante et une belle personne….