Traverser la rivière

Soigner puis être soigné.
Accueillir les familles des patients et visiter un frère  malade.
Soulager la douleur et lutter contre son propre supplice.
Parfois nous passons de l’autre côté.


De debout auprès du patient, nous nous retrouvons allongé devant un soignant. Une figure acrobatique de l’âme. Un salto arrière avec réception hésitante. Le point de vue change. Au lieu d’un panorama dégagé sur une chambre aseptisée, notre vision rétrécit pour ne plus se concentrer que sur un détail : une barbe grisonnante, un nez en trompette, des lunettes rouges, mais tout ça vu d’en dessous…


Nous sommes jetés dans l’eau froide de la rivière des pathologies et nous devons nous battre pour  arriver sur l’autre berge sans trop de dégâts. Pas de bouée, juste la force des bras et des jambes pour traverser.  D’un côté un état de santé optimal, et de l’autre les séquelles de l’être et du corps.


De celui qui troue la peau, nous devenons celui dont les bras se couvrent de taches bleutées et piquetées de points rouges d’injections.


Alors dépendants, en attente,  nous tentons d’interpréter le moindre regard ou mot savant attribué à notre corps ou celui du membre de notre famille touché.D’averti à amateur, nous sommes toujours dans l’ignorance quand nous traversons la rivière. Comme un nageur débutant, craignant les courants et la profondeur.


Qu’advient-il de nos compétences professionnelles lorsqu’un de nos proches doit nager dans l’eau froide à son tour ?Où est ma place alors ? Suis-je infirmière ou sœur ? Soignante ou fille ?


Tout à la fois, me dites-vous ?


Le début du morcellement de mon âme en quelques morceaux, un fractionnement progressif, comme des pansements que l’on découpe pour les ajuster à la forme atypique d’une cicatrice. Un petit bout pour chaque victoire et un autre séparé du reste de ma psyché par un échec, une déception.


Je souffre autant que toi, mais je dois me montrer confiante parce que dans les moments de doutes, je suis la cousine infirmière et non la petite fille avec laquelle tu jouais au ballon il y a quelques années de cela. Je pleure aussi, mais je travaille mon sourire face au miroir. J’ai peur également, mais j’enfile ma cape de supergirl  à chacune de nos rencontres.Je suis comme vous. J’aime et je souffre de risquer la perte d’un être cher. Je vis, je souris. Je rêve d’une existence à la vue dégagée sur une colline derrière laquelle le soleil se lève en se mêlant au rose du ciel. Je crains les nuages et l’orage, mais j’investis dans un parapluie taille XXL en forme de cœur.

Je suis là mais j’ai peur, encore plus pour  toi que pour moi.Alors je me contente d’aimer, encore et toujours.Je suis là et j’aime.Au-delà de mon incertitude, mes craintes et mes ignorances, ma solution à moi est d’être là et d’aimer.
À  P.  et  K.

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