J62(3) : A peine le temps de dire ouf…

C’était devenu un automatisme : le scanner de la chambre et du patient (lorsqu’il était présent). Il fallait pouvoir identifier rapidement les différents éléments qui détermineraient les minutes suivantes à chaque nouveau malade pris en charge.

Là, malheureusement, le lit était vide. Plus de patient. Le coupable avait déserté le lieu du crime.

Relever les indices et checker les éléments de base :

-Patient : absent.

-Lit : défait.

-Fenêtre : fermée.

-Effets personnels : téléphone sur la table de nuit

– Signe d’une présence éventuelle : persistance de l’odeur marquante de monsieur Picoti (presque nauséabonde).

Le Columbo en moi s’éveilla soudain : monsieur Picoti m’avait tellement harcelée avec son téléphone qu’il ne pouvait être parti sans. Mais sa chambre était située à l’entrée du service (mauvais choix stratégique) donc lorsque les équipes médicales et paramédicales se trouvaient en salle de soin, il pouvait entrer et sortir de l’unité sans être remarqué. Je fis quelques pas supplémentaires vers son lit et me penchai prudemment. Ses chaussures étaient au sol. Il ne pouvait donc pas être parti loin. Lorsque je me retournai, je constatai que la porte de la salle d’eau était fermée.

Il faut arrêter de paniquer pour rien Sarah ! Il est juste aux toilettes !

Je décidai d’appeler en tentant de ne pas laisser paraitre d’inquiétude dans ma voix :

« Monsieur Picoti ? »

Pas de réponse….

« Monsieur Picoti, vous êtes là ? »

Toujours le silence….

En parvenant au niveau de la porte des toilettes, je tapai trois coups un peu hésitants et répétai mon appel :

« Monsieur Picoti ? »

Columbo, le retour…

1ère possibilité : il refuse de me répondre pour me déstabiliser

2ème possibilité : il a fait un malaise et git, inconscient, entre le lavabo et la cuvette des toilettes.

3ème possibilité : à bout de nerfs à cause de ses appels sans réponse passés à sa femme-qui-n-existe-pas il a décidé d’en finir et de plonger la tête dans les wc jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Je tentai d’ouvrir la porte qui, évidemment, était verrouillée de l’intérieur. Je pressai ensuite le pas jusqu’à la salle de soin pour récupérer le pass permettant à l’équipe paramédicale d’ouvrir les portes des sanitaires en cas d’urgence. Plus j’avançais, plus le stress montait : il était déjà et sûrement mort noyé et moi, le service, l’hôpital ferions l’objet d’une enquête et d’une condamnation certaine pour manque de soin. Des trois hypothèses, la dernière était la moins plausible mais à considérer sérieusement malgré tout.

De retour dans la chambre du patient, je constatai un lit aussi vide qu’avant mon départ.

Je crois que tout se passa en une fraction de seconde. A peine le temps de dire ouf (fou en verlan…).

J’avançai de quelques pas, deux, trois, grand maximum. Le scanner en place : lit vide, téléphone table de nuit, fenêtre fermée, chaussures au sol, porte des toilettes ouverte, …

Ouverte ? Porte des toilettes ouverte ?!

Dans mon dos, un frisson. Une porte qui claque derrière moi et une main. Tendue et glaçante sur mon épaule déjà crispée.

Le moment aurait été parfait pour que Columbo se transforme Bruce Lee et fasse la démonstration d’une figure d’auto défense aussi spectaculaire qu’efficace.

Mais non.

Je sursautai en criant avant de m’écarter rapidement de ce patient psychotique que je savais juste à côté de moi. Il y avait des barrières à ne pas franchir. Et celle-ci en était une : ne pas se laisser toucher par une personne soignée. Enfin, pas comme ça, pas par surprise et surtout pas avec CETTE personne.

Mon cri aurait pu, dû alerter quelqu’un dans le couloir mais j’étais dans une partie du service où les passages étaient rares à cette heure-ci. Il se tenait face à moi et faisait barrage à mon issue de secours, le regard plus sombre que jamais, bras le long du corps et la blouse de l’hôpital flottant largement autour de son corps fin.

« -Vous êtes revenue me voir, sourit de façon inquiétante mon patient.

-Oui, je vous l’avais dit monsieur Picoti. Je suis passée il y a quelques minutes mais vous étiez enfermé dans les toilettes.

-Ah, c’était vous ? J’avais peur que ce soit ma femme. Vous savez, elle est magnifique mais un peu folle des fois… »

Envie de rire et de pleurer à la fois. Bouhouhahahahahaha ! Concentre toi Sarah.

« Mais pourquoi votre femme serait-elle venue ce matin ? Les visites ne sont autorisées que l’après-midi… »

Il restait silencieux et avançait doucement dans ma direction. Je reculais au même rythme, en maintenant une distance de sécurité entre nous. J’avais un objectif en tête…

Gagner du temps, tu y es presque Sarah…

« -Je suis venue vous donner vos antalgiques monsieur Picoti, bégayai-je.

-Je vous avais dit que je n’avais pas mal, répondit-il fermement.

-Je sais mais il vaut mieux les prendre en systématique pour prévenir l’arrivée des douleurs. C’est ainsi pour tous les patients.

-Je ne suis pas un patient comme les autres. »

Je continuais de reculer et finis par buter contre le lit vide et défait. J’avalai ma salive en me glissant lentement vers la tête du couchage, les mains glissant sur la barrière.

« Aucun patient n’est identique, monsieur Picoti… »

Des sueurs froides dégoulinaient le long de ma colonne vertébrale quand ma main rencontra enfin l’objet espéré.

« -Alors vous l’avez senti aussi ?

-De quoi parlez-vous monsieur Picoti ?

-Vous le savez très bien… depuis que je suis arrivé, vous n’arrêtez pas de m’allumer. »

Les palpitations se manifestèrent à leur tour. C’est donc ça qu’on appelle crise d’angoisse. J’étais piégée. Je m’étais fait avoir bêtement sur une porte qui claque et un lit vide.

La main tremblante dissimulée derrière mon dos pour ne pas être démasquée par celui, en face de moi, qui me terrorisait, je saisis enfin la sonnette et appuyai fortement sur le bouton d’appel. J’entendis son écho lointain résonner dans le service. Encore quelques secondes….

« -Monsieur Picoti, je pense qu’il y a confusion…

– C’est bien ce que je dis, tu es confuse… Je te perturbe, je le sais…. »

OK, donc on passe au tutoiement ? Don’t panic !

Deuxième pression sur le bouton d’appel. L’alerte urgente était passée… Ce n’était qu’une question de secondes avant que quelqu’un ne vienne me délivrer de l’attaque imminente de ce prédateur. Je l’espérais de tout mon cœur tachycarde….

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