Les fleurs de Joséphine

Même au bout de quatre ans, je me pose toujours la question de savoir comment les prendre. Comment manipuler ces petits bouts si paisibles dans leur couveuse pour leur administrer les soins nécessaires à une évolution favorable.

Le petit Jean que je vois, aujourd’hui, à travers le plexiglas de sa couveuse pèse environ neuf cents grammes. A peine plus que certains aras brésiliens. Un tout petit peu moins qu’un melon jaune…

Il s’est empêtré dans les fils du moniteur qui surveille sa fréquence cardiaque. En plus de sa sonde d’alimentation et son cathéter central, les câbles qui le relient au scope lui laissent peu d’amplitude de mouvement.

Au bout de quelques minutes de détricotage, j’arrive à dégager son petit pied aussi large que mon auriculaire.

Aujourd’hui, Jean est plutôt stable. Je lui ai prélevé quelques gouttes de sang ce matin et lui ai prodigué quelques soins d’hygiène avant l’arrivée de ses parents qui ne devraient plus tarder.

En réanimation néonatale, les jours se suivent, mais ne se ressemblent pas. Chaque journée passée est une victoire, un pas de plus vers l’objectif final : faire en sorte qu’un bébé né trop tôt reparte en bonne santé dans les bras de ses parents.

Après onze années de soins adultes, mon arrivée chez les bébés m’a obligée à tout réapprendre. Les dosages de traitement, la manipulation des patients si fragiles, les relations avec l’entourage qui pour le coup sont primordiales. Les parents sont, la plupart du temps, démunis et stressés. Ce triangle relationnel quasi systématique en pédiatrie peut s’avérer aussi compliqué qu’enrichissant.

Je travaille dans un service de pointe très réputé avec un gros turn-over, une charge de travail importante et parfois une certaine frustration due au manque de temps. Ce temps qui nous permettrait de compenser la charge morale de la réanimation néonatale par des moments plus plaisants comme des peau à peau ou un moment de complicité avec les parents pendant lequel nous pourrions les former aux soins. J’ai pourtant parfois l’impression d’être Dexter (le psychopathe de la série télévisée) tellement j’ai le sentiment de torturer les pauvres bébés prématurés que je prends en charge… Les prises de sang, les perfusions à répétition sur des veines très sollicitées et plus que fragiles, les transfusions, les pansements sont autant de petites agressions difficiles pour nos bébés. Je n’ai pourtant pas le choix.

Si j’ai intégré ce service, c’est parce que je voulais être puéricultrice lorsque je me suis lancée dans une carrière d’infirmière. Et puis j’ai fait mes débuts dans des soins intensifs de cardiologie auprès de professionnels exceptionnels. J’y ai rencontré une famille que j’ai choisie et que je continue de choyer aujourd’hui. Cette unité m’a aussi amené l’homme qui partage ma vie maintenant. Et lorsque je le regarde jouer avec nos deux enfants, je me dis que je n’ai pas à regretter de ne jamais avoir passé le concours d’entrée à l’école d’infirmière puéricultrice.

Bien que j’aime mon métier, il me pèse parfois, car les situations comme les décès ou les soins palliatifs sont plus difficiles à gérer depuis que je suis maman. Mais en toute franchise, lorsque j’entre dans l’unité de réanimation néonatale à sept heures le matin, que je retrouve mes collègues complices et solidaires et que j’entretiens une vraie relation d’aide avec des parents démunis ou désespérés, je ne vois pas les douze heures défiler ! Je sais que j’ai de la chance d’exercer un métier-passion qui offre mille perspectives d’évolution ou de mode d’exercice . Même si je privilégie ma vie de famille pour le moment, je sais que mon avenir professionnel sera ponctué d’une multitude de rencontres, d’apprentissages et d’humanité.

Je vois mon métier comme un magasin de fleurs où chaque expérience est comme une rose qui, d’un bouton timide, devient une belle plante aux pétales chatoyants pour finir par se flétrir sans jamais vraiment mourir. Être infirmière, c’est la potentialité d’un renouveau constant, la possibilité, avec un seul diplôme, d’exercer tant de métiers différents avant que toutes les fleurs ne se fanent. Une chance en soi…

« — Bonjour Joséphine, comment va mon petit Paul?

—Bonjour madame, votre fils est plutôt en forme aujourd’hui. Vous voulez le câliner un peu avant les prochains soins ?

—Oh, oui… » répond-elle, les yeux humides d’émotions.

Voilà, tout est là, la jolie fleur est au paroxysme de sa beauté…

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