Le monde platine de Maxime

La lumière du petit matin m’éblouit à peine. Mes yeux n’ont pas eu droit au repos physiologique qu’ils réclamaient dès le milieu de la nuit.

Il est sept heures et je rentre chez moi. Les gens que je croise sur la route sont frais et reposés, prêts à attaquer une journée de travail. Les yeux qui pétillent alors que les miens piquent, lavés et parfumés alors que je suis imprégné des odeurs du service…

Être infirmier de nuit dans une unité de soins intensifs neuro-vasculaires a quelques inconvénients : rythme contre nature, isolement du reste de l’équipe, décalage avec les proches. Mais, ce poste je l’ai choisi et, à ce jour, je ne vois que les avantages qu’il confère. Cela fait huit ans que je travaille dans ce service et l’isolement qu’il impose m’a permis de développer une certaine autonomie, favoriser l’intimité avec mes collègues (effet « petite équipe »). Le principal intérêt de ce poste de nuit n’est pas des moindres. Il est même essentiel pour moi, car cet emploi du temps inversé me laisse du temps à consacrer à mon deuxième métier, le plus important des deux.

 Je suis papa.

Un sourire béat apparait sur mes lèvres rien qu’à l’idée que d’ici quelques minutes, je plongerai le visage tout entier dans les cheveux blond platine de ma fille de quatre ans pour humer son odeur, prendre une dose du meilleur des relaxants après douze heures à l’hôpital.

Elle est mon objectif principal. Comme tout parent qui se respecte, me direz-vous ? Dans mon cas, je mets ma carrière professionnelle de côté, car je ne veux pas rater une seule minute auprès d’elle. Je la prépare le matin pour aller à l’école et je la récupère à seize heures trente. Toujours fidèle au poste.

Je sais que ses jeunes années finiront par passer et que plus vite que je ne le voudrais, elle refusera que je vienne la chercher à la sortie des cours. Mais j’attendrai que ce choix vienne d’elle.

Et alors, alors je pourrai envisager de changer de service et de rythme. Cela fait quelque temps que la formation de cadre de santé me tente. Ce que j’aimerais, moi, c’est enseigner en institut de formation en soins infirmiers. Je trouve ça tellement stimulant de transmettre son savoir, puiser dans ses connaissances pour aider à la formation des futurs professionnels de santé. S’assurer qu’ils acquièrent les bases nécessaires aux métiers paramédicaux. Contrairement à d’autres, je pense que l’empathie et la communication ne sont pas innées pour tout le monde. Ce sont des qualités, pour ne pas parler de compétences, qui se développent avec l’expérience. A vingt ans, on est plein d’idéaux et d’ambition (j’aimerais, parfois, encore être pourvu de cette fougue professionnelle), mais ce sont les années de pratique qui permettent d’acquérir de bonnes capacités à prendre du recul ou à soutenir familles et patients en situation désespérée. C’est en pratiquant l’humanité qu’elle nous imprègne. Et ça j’en suis persuadé, car plus le temps passe, plus ma sensibilité de soignant se développe.

Je vis la nuit depuis des années, là où tout dort, où tout est calme et sombre. Et pourtant, j’ai vécu des expériences, disons, diversifiées. Comme devoir protéger un médecin d’une famille emportée par la violence et le désespoir dus à la mort imminente d’une parente. Ou encore, manger une raclette à quatre heures du matin parce que la nuit où nous avions prévu ce repas avec des collègues, pensant être en nombre suffisant pour que le travail soit fait rapidement (mais correctement), nous nous étions finalement retrouvés submergés de soins, repoussant jusqu’au bout de la nuit la dégustation de ce plat réconfortant.

C’est ça le travail de nuit, la promiscuité, la confidence et la confiance. Le calme apparent qui se transforme en ouragan lorsque les autres s’endorment. Il y a quelques années, on nous appelait « veilleurs ». Ce terme non officiel est tellement réaliste pourtant. Je veille les patients, leur santé, leur bien-être et celui de leurs familles, la nuit.

Et là, lorsque je franchis le seuil de la chambre de ma fille et que je vois ses cheveux blonds en bataille sur l’oreiller, je me dis que tout ça vaut le coup.

Parce qu’on pourra toujours minimiser le travail des infirmiers de nuit, sans nous, ça ne tournerait pas. Et sans ma petite blonde, mon monde ne tournerait pas.

Je m’appelle Maxime, je suis infirmier de nuit en soins intensifs neuro-vasculaires, mais pas que…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *