J14, épisode 1 : « Panier à 3 points »

Ce qu’on ne m’avait pas dit, ce que, par omission ou par choix, on avait oublié de me préciser lors de mon entretien d’embauche, c’est qu’on avait prêté attention à ma candidature dans le but de parer à une grosse vague de départ dans mon service.En d’autres termes, une  partie des infirmières et aides-soignantes que je côtoyais depuis plus de quinze jours et que je tentais d’apprivoiser depuis le départ allait faire place à de nouvelles recrues. Au bout d’un mois d’expérience, j’étais sur le point de devenir une des plus anciennes de l’unité !


Non j’ai pas peur ! La ferme Gertrude !


Ainsi, en ce jour soi-disant béni où je pouvais célébrer mon indépendance, je me retrouvais  seule responsable d’un groupe d’individus malades et en attente de soins. Bien sûr, je n’étais pas seule physiquement, il y avait ma binôme aide-soignante et les médecins, internes et autres infirmières  présentes qui restaient là en cas de besoin mais c’était officiel : je n’étais plus doublée.


Je me souvenais d’avoir déjà connu ce sentiment de liberté galvanisant quelques années plus tôt. Je venais d’avoir 18 ans et avais été missionnée pour garder mes cousins de 5 et 7 ans parce que nos parents se faisaient une soirée cinéma sans enfants…Une horreur. Je ne reviendrai pas sur cet événement ni sur la colle dans mes cheveux que le plus petit des monstres s’était amusé à appliquer pendant que je piquais du nez devant la télé…Un grand moment de solitude.


Pourvu que l’issue ne soit pas la même… Mais non Sarah, les patients ne s’amuseront pas à coller tes cheveux voyons ! Ils ont autre chose à faire que de s’atteler à un massacre capillaire !

En arrivant dans le service ce matin-là, j’avais appris de façon fortuite que 4 de mes collègues s’apprêtaient à quitter le service. L’annonce fut brutale et me fit l’effet d’un ballon de basket lancé par Tony Parker et  reçu en pleine tête. Ainsi, Huguette, la cadre du service avait dit à Charlène devant moi :
« Il semble que vous ayez formé votre remplaçante comme il se doit Charlène, elle est apte à prendre en charge un secteur de patients sans encadrement ! »


Elle avait l’air réjoui. Moi pas.


J’avais questionné la Mimi Mathy du service pour en savoir plus sur ce panier à 3 points que venait de marquer ma cadre et elle m’avait répondu le plus naturellement du monde que oui, elle partait et que non, elle n’était pas la seule.En quelques semaines, Charlène et  Marion, infirmières,  ainsi que Sylvie, aide-soignante,  nous quitteraient pour voguer vers d’autres cieux professionnels. Même la cadre, la souriante et attentionnée Huguette quittait l’unité ! J’avais été recrutée par une personne qui partait, formée par une autre qui partait également et beaucoup apprécié 2 autres qui m’abandonnaient de la même manière ! Je ne les connaissais pas beaucoup, mais elles étaient tellement sympathiques qu’elles avaient motivé mon désir d’intégration dans l’équipe.Bref, il était exactement 7h49 lorsque je poussai la porte de la chambre du 1er patient qui allait recevoir des soins de Sarah Mimare, infirmière autonome et sûre d’elle, bien qu’un peu déçue par le panier marqué contre son camp par ses coéquipières.-Bonjour Monsieur Terry, lançai-je avec le plus de conviction possible.Pas un sourire n’illumina son visage mais sa réponse m’apporta la confirmation que lorsqu’une journée débute par une mauvaise nouvelle, elle continue généralement sur la même voie :-Je crois que le petit déjeuner a du mal à passer.Je m’approchai, tentant de garder un air confiant malgré les 10 000 questions que je me posais.


Le petit déjeuner a du mal à passer où ? Par la porte de votre chambre ? Mais non rassurez-vous, nos plateaux-repas ne sont pas si grands !Ha non, OK, j’ai compris, vous parlez de….Vous ne parlez pas de vomi j’espère ?! Parce que je voulais juste vous faire une prise de sang moi ! Alors s’il vous plait, ne perturbez pas mes plans dès la 1ère heure de mon 1er jour d’indépendance!

Je n’eus pas le temps de me poser les bonnes questions, celles qui consistent à réfléchir aux traitements éventuels ou même ne serait-ce qu’à prévoir un haricot à portée de main au cas où…Les vomissements jaillirent comme un geyser.

Pour éviter de se vomir dessus, ce que je comprends tout à fait, mon patient se pencha sur le côté du lit. Pas le gauche, non. Le droit, celui où je me trouvais justement…
Je me remémorai alors la colle dans les cheveux avec nostalgie. Finalement il y a peut-être pire que de devoir se couper une mèche de cheveux et d’ensuite porter un bandeau pendant des semaines en attendant la repousse…. Je crois que se faire vomir un petit déjeuner sur les mains, la blouse et les pieds est dix milliards de fois pire que ça.


C’est le moment que choisit l’équipe d’internes accompagnée du Docteur Perrot, monsieur le chef de service,  pour entrer dans la chambre. Ils me regardèrent avec un mélange de dégout et d’incompréhension.Cette fois-ci, ce n’était pas un panier à 3 points mais un dunk violent et spectaculaire que venait de marquer la malédiction de cette journée.-Mais que faites-vous ?! gronda sans retenue le chirurgien senior.
Ce premier jour en autonomie s’annonçait long…très long…


Je pleure maintenant ou j’attends un peu?

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