J14, épisode 2 : La kryptonite du chirurgien

 Qu’ils sont courageux ces chirurgiens !
Je les admire réellement.Passer des heures debout sans pause à focaliser son attention sur l’objectif ultime : améliorer l’état de santé de la personne qui est allongée devant eux, les tripes à l’air. Passer douze années à étudier, enchainer les gardes et rester éveillé parfois plus de trente heures d’affilée, mettre sa vie de côté pendant plus d’une décennie pour obtenir le Saint-Graal en proclamant le serment d’Hippocrate devant une assemblée attentive.🎓

Les chirurgiens décident des conduites thérapeutiques à suivre avec minutie, précision et empathie. Décrits comme ça, on pourrait croire que je vous parle de Superman.

Manqueraient plus que la cape et le slip moulant…Et bien, l’équipe de super héros qui m’avait prise en flagrant délit de démonstration de journée pourrie s’était montrée bien impuissante face au désastre vomitif auquel j’avais à faire face de bon matin.Alors que je dégoulinais du reflux de contenu gastrique de mon patient, ils me regardaient tous avec des yeux horrifiés, Docteur Perrot en tête. L’un d’eux avait préféré sortir de la chambre, un autre était devenu blanc comme ma blouse (avant le drame évidemment parce qu’à ce moment-là, elle avait plutôt la couleur d’une pomme Granny Smith qu’on aurait laissé pourrir pendant des semaines) et ceux qui restaient affichaient une expression de dégoût dont je ne savais si elle m’était directement destinée.Ils étaient tous prêts à défaillir. Alors c’était ça ? Le vomi était la kryptonite du chirurgien ! C’était bon à savoir pour plus tard…

– Haaa, ça va mieux ! souffla monsieur Terry, mon patient, en reposant la tête sur son oreiller.
Tu m’étonnes ! J’espère bien que je ne me suis pas fait vomir dessus pour rien !
Je restai figée. Seuls mes yeux bougeaient et allaient de monsieur Terry au groupe d’internes à ma blouse verte. 
En réalité, je ne savais pas par où commencer :– rassurer le patient en lui posant une main sur l’épaule : pas possible, elle était pleine de liquide gastrique.– faire ma prise de sang comme c’était prévu : pas possible, mes tubes étaient souillés– partir en courant et ne plus jamais revenir : pas possible, je risquais de glisser et de me ridiculiser encore davantage.
Ma collègue aide-soignante s’approcha et me suggéra d’aller me changer.
– Je m’occupe de tout. tenta-t-elle de me rassurer.
Je quittai donc la chambre du premier patient que je voyais ce jour-là. Je devais avoir comme une aura impressionnante parce que tout le monde s’écarta largement pour me laisser passer !Après m’être douchée à peu près huit fois, je sortais de la lingerie où je venais de changer de tenue quand je croisai Morgan. Souvenez-vous : le bel interne que j’avais rencontré dans l’office lors de mon premier jour, le sosie de Brad Pitt… Je connaissais dorénavant son prénom et j’entretenais des rapports cordiaux avec lui. Il s’était montré accueillant et tolérant face à mon ignorance dans le domaine de la chirurgie digestive, répondant à nombre de mes questions sans jamais se moquer ou ironiser sur mes lacunes.Je m’entendais bien avec lui et je sais que ça faisait jaser mes collègues. Que les choses soient claires : il n’était pas juste mignon, il était canonissime ! Il le savait et abusait de ses charmes pour négocier certaines choses avec les infirmières du service : un bilan sanguin au moment de partir, négocier un examen avec le radiologue à sa place, se faire servir un café pendant qu’il tapait des comptes rendus. Bref, ses yeux verts et sa belle gueule faisaient faire 3 pas en arrière à notre profession en ce qui concerne les rapports de subordination médecin/infirmière.Il faisait évidemment partie des chirurgiens qui avaient assisté à la scène d’horreur que j’avais vécue quelques minutes plus tôt.


– Ça va Sarah ? interrogea-t-il avec le sourire au coin des lèvres.


Je crois que cette fois-ci, il avait clairement envie de rire de mes mésaventures, mais je ne le connaissais pas assez pour deviner ce qu’il pensait.


– Oui ça va mieux… J’ai la poisse aujourd’hui…

– Mais non…

– Si, quand même.

– Ouais c’est vrai…


Il me regarda en pinçant les lèvres. À peine quelques secondes s’écoulèrent avant qu’il n’explose littéralement de rire.Je pris, dans un premier temps, un air grave, mais son fou rire était contagieux et je me mis vite à rire de bon cœur avec lui.


– T’aurais vu ta tête quand on est entrés ! continuait-il à s’esclaffer.

– Et la vôtre ! On aurait dit que vous faisiez un concours de la tronche la plus dégoutée du monde !


Tandis que nous riions ouvertement dans le couloir, je savais déjà que les commérages iraient bon train à la pause déjeuner. Peu importait, ce petit instant de dédramatisation m’avait fait un bien fou et c’est le cœur léger et la blouse propre que je retournai dans la chambre de monsieur Terry pour enfin réaliser la prise de sang que je devais lui faire ce matin-là !
Je retirais juste l’aiguille de son bras lorsque Morgan passa la tête par l’entrebâillure de la porte : 
-Au fait Sarah, tu seras là pour la soirée de départ de tes collègues samedi prochain ? 

Une soirée de départ ? Mais quelle soirée de départ ? 🎉

-…
Il prit certainement mon silence pour une approbation puisqu’il renchérit : 

– Il faudra faire un effort vestimentaire alors évite de prévoir une prise de sang samedi prochain ! s’amusa-t-il avant de disparaître quasiment aussitôt.
Il y a une heure je n’étais déjà pas au courant de ces foutues mutations et maintenant je venais d’apprendre qu’en plus il faudrait faire la fête pour ça ! 

Pfff, génial.Une soirée pour célébrer quelque chose que je ne valide pas, mais alors pas du tout ! 😡
Peut-être qu’une autre dose de kryptonite me permettrait d’éviter la soirée à venir… 
Monsieur Terry : un p’tit dej  ça vous dit ?

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