J26 (4) : Coton pourpre

Comment expliquer ce qu’on ressent dans ces moments-là ?
J’avais l’esprit comme dans du coton et au milieu de cette illusion de douceur, une aiguille ensanglantée souillait le blanc immaculé qui l’entourait. Les gouttes se répandaient sur la matière blanche telles des taches en forme de lettres : « V », « I », et « H »…


Mon premier réflexe fut de retirer l’aiguille le plus vite possible. Comme si cela pouvait changer quelque chose au risque…
Monsieur Tahze me regarda, l’air surpris.


-Oh ! Vous avez planté l’aiguille dans votre main ! Mais pourquoi ?


Sans blague. Je n’avais pas remarqué ! Je trouvais ma vie trop linéaire alors je me suis dit : Tiens, pourquoi ne pas jouer avec le feu ? Pourquoi ne pas réaliser un acte équivalent à un rapport sexuel non protégé avec une personne porteuse d’une MST qui tue encore des milliers de personnes chaque année ?


Une fois l’aiguille de prélèvement rétractée dans le système sécuritaire qui avait, évidemment, pour but d’éviter les A.E.S. (accident d’exposition au sang), je fixai précipitamment le pansement sur le bras de mon patient et sortis de la chambre en toute hâte avec mon plateau métallique. J‘ôtai mes gants et me précipitai en salle de soin en laissant mon chariot au milieu du couloir.

Morgan se trouvait là, avec d’autres internes. Ils discutaient autour du dossier d’un patient. Je me précipitai sur le lavabo, paniquée par les gouttes de sang qui prenaient de plus en plus de place dans ma tête. Le groupe de médecins s’interrompit et chacun m’observa me laver les mains avec une énergie jamais vue.

-Sarah ? Ça va ? m’interpella une interne prénommée Valentine. -Non ! Je me suis piquée après un prélèvement !


Tous en chœur, ils exprimèrent un sursaut de surprise mélangé à de la terreur. On aurait dit qu’ils reprenaient leur souffle tous ensemble pour entonner un hymne à la journée la plus merdique du monde !


-Merde ! lança Valentine. Mais t’as fait ça comment ?

-Après la prise de sang, j’ai dû mal appuyer sur le système de sécurité et l’aiguille a transpercé mon gant !

J’étais paniquée. Au bord de l’explosion. J’étais l’Etna endormi qui s’apprêtait à prouver au monde entier que le sommeil prenait fin. C’en était trop !

-Quel patient ? interrogea Morgan calmement.

-Monsieur Tahze…

-Merde ! répéta Valentine.


Brillante dans son inefficacité et montrant le niveau zéro de ses capacités de réassurance.


En moins de temps qu’il en faut pour le dire, Morgan était à côté de moi avec un gobelet stérile et versait du Dakin à l’intérieur (désinfectant à base de chlore).Il me le tendit.


-Tiens, trempe ton doigt dedans pendant 15 minutes. Je vais prévenir tes collègues que tu ne peux pas finir ton tour.


Il disparut de la salle de soin. Je pris place sur une chaise (qui me semblait stable). J’étais en colère. En rage contre moi et ma tête qui m’empêchait de mener la vie que je voulais. Mais pourquoi étais-je aussi maladroite et pourquoi devais-je toujours traverser des catastrophes ?
Quelques instants plus tard, Morgan réapparut, suivi de Madame Jean (génial) et de Christèle (vous voulez m’achever ou quoi ?)


-Comment avez-vous fait ça Sarah ? questionna ma cadre.-Je ne sais pas, je terminais mon prélèvement et  j’ai dû mal actionner le dispositif de rétractation de l’aiguille. -Portiez-vous des gants ?-Oui ! m’exclamai -je, dévoilant ainsi mon sentiment de culpabilité.
Madame Jean m’examina de son éternel regard noir puis se tourna vers Christèle :
-Christèle, répartissez-vous le secteur de soin de Sarah. Récupérez les prélèvements et expliquez la situation au patient concerné. Il nous faut son autorisation pour effectuer un dépistage des pathologies à risque infectieux. Sarah, vous allez descendre aux urgences pour faire la déclaration d’accident d’exposition au sang et vous faire prélever à votre tour afin d’évaluer les risques éventuels…


Morgan me regarda, silencieux. Je ne dis pas un mot non plus. Il avait compris et moi aussi… Il savait parce que monsieur Tahze était un patient de son secteur.


-Sarah, m’avez-vous entendue ? insista madame Jean tandis que Christèle avait déjà quitté la salle de soins.
Je tremblais. Encore plus qu’avant cet incident.
-Madame Jean, dis-je, la voix pétrifiée. Monsieur Tahze est un ancien toxicomane…
Elle me considéra sans ciller, attendant la suite de la sentence.
-Il est V.I.H. positif… ajoutai-je dans un souffle.
N’y tenant plus je fus submergée de larmes, de spasmes. Le coton dans ma tête était pourpre, baigné de sang. Plus un soupçon de blanc ne subsistait…

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