J54(3) : Jasmine et le génie

C’était trop beau pour durer. Ce sentiment de légèreté ne pouvait persister…

Eh, Oh ! Réveille-toi ma belle ! Tu es Sarah ! Pas Jasmine avec Aladin sur un tapis volant !

Cinq minutes auparavant, j’étais sur un petit nuage, la tête dans les étoiles et maintenant, ces mêmes étoiles me tombaient sur la tête et le cumulus douillet s’était changé en cumulonimbus orageux.

Et  comme toujours, tout s’accumulait soudainement. J’avais l’esprit préoccupé par le retour de Thomas et quelques instants plus tard, une urgence médicale inattendue s’était présentée comme par magie (noire évidement).

Mais pourquoi ma vie ne pouvait-elle pas être fluide et tranquille durablement ?

C’est le jeu ma pauvre Sarah, chacun sa m…

Merci le destin !

Le bruit sourd que Morgan et moi avions entendu depuis la chambre de madame Cilorne était bien celui d’un traumatisme crânien. Ma patiente, toujours inconsciente sur le sol de la salle de bain, arborait une fine plaie sur le front derrière laquelle une jolie bosse prenait doucement du volume.

Je m’accroupis immédiatement auprès d’elle en prenant soin de ne pas la mobiliser pendant que Morgan vérifiait si son cœur battait toujours en palpant son poignet. 

« -Elle a un pouls et elle respire ! déclara-t-il.

-Madame Cilorne ! » criai-je pour tenter de la faire réagir.

Je répétai mon appel à plusieurs reprises. Ma voix eut le mérite d’alerter mes collègues que quelque chose se passait.  Sylvain ouvrit la porte de la chambre avec inquiétude.

« -Besoin d’aide ? interrogea l’infirmier.

-Oui ! Va chercher le chariot d’urgence et une bouteille d’oxygène ! On va la monitorer avant de la mobiliser ! » ordonna Morgan.

Je continuai d’appeler ma patiente qui finit par émettre un gémissement. Ses yeux restaient clos et sa bouche entr’ouverte mais elle commençait à montrer des signes de réveil.

Je lui saisis la main sans bouger son bras pour la stimuler davantage.

« Madame Cilorne ! C’est Sarah, votre infirmière ! » 

J’attendis quelques secondes avant qu’elle commence à clignoter des paupières. Le regard dans le vide, on voyait qu’elle luttait pour rester éveillée. Elle soupira bruyamment. Sa poitrine se soulevait de façon saccadée.

« Madame Cilorne ! Avez-vous mal quelque part ?

-Ma hanche… souffla-t-elle dans un effort qui parut surhumain.

-De quel côté ?! »

Elle lâcha ma main pour taper sur sa cuisse, celle sur laquelle tout le poids de son corps reposait. Elle était tombée sur la hanche et à 84 ans, c’était de mauvais pronostic….

Elle ouvrit les yeux un peu plus franchement avant de tenter faiblement de se lever. Son corps était habité de tremblements.

« – Non ! Restez allongée ! » la sommai-je en exerçant une légère pression sur son bras.

Ce mouvement lui arracha un cri de douleur.

« -Où avez-vous mal ? demandai-je, inquiète de lui avoir causé davantage de douleur.

-Partout… » souffla-t-elle les larmes aux yeux.

J’ai le cœur en miettes… Pauvre maminette…

Sylvain arriva avec du renfort et me tendit les patchs électrodes permettant de scoper ma patiente. Le brassard à tension fut rapidement positionné également.

« -Tension à 9/4 ! dit mon collègue infirmier.

-C’est bas, précisa Morgan. Et le reste ?

-Pouls à 97 et sat à 91%.

-On lui met un peu d’O2 s’il vous plait. »

Quelques secondes plus tard, madame Cilorne était équipée d’un masque à oxygène.

Morgan était concentré, cherchant la raison qui aurait pu occasionner cette chute alors que nous avions tous deux constaté que la patiente allait bien quelques secondes plus tôt. Il se pencha sur elle :

« -Madame Cilorne, vous souvenez vous de ce qu’il s’est passé ?

-Je crois que je suis tombée…

-Exactement. Mais, avant de tomber, avez-vous ressenti une douleur ou des vertiges ?

-Mes jambes ont lâché et après tout est devenu noir… »

Se tournant vers Sylvain, Morgan demanda :

« -On peut lui faire un dextro s’il te plait ?

-Pas de problème. »

Pourquoi mesurer le taux de glucose sanguin chez une patiente non-diabétique ? Aucun signe précurseur d’une éventuelle hypoglycémie mais la piste était à explorer…

La position de ma patiente et l’exiguïté de la pièce obligeaient Sylvain à rester dans l’entrée de la chambre. Il me tendit le glucomètre et je m’appliquai à piquer le doigt de madame Cilorne.

Le verdict tomba 5 secondes plus tard :

« – 0,49 ! hurlai-je presque.(*)

-OK ! On a la cause du malaise ! » dit Morgan en écarquillant les yeux.

Un vrai génie !

Avec une glycémie aussi basse, n’importe qui aurait fait un malaise. Il ne manquait plus qu’à déterminer la cause de la chute brutale de son  taux de sucre sanguin …

Sans que Morgan ait à demander quoi que ce soit, Sylvain me tendit une seringue de G30 (soluté de sérum physiologique injectable comprenant 30% de glucose) et un pochon de G10 (même chose mais avec 10% de glucose).

J’injectai les 20ml de la seringue et remplaçai le pochon de sérum physiologique par le G10.

Il fallut moins d’une minute pour que le teint de ma patiente reprenne une couleur plus convenable.

Je me tournai vers mes collègues, le sourire aux lèvres. La porte était restée entr’ouverte et mon retour à la réalité après ces quelques minutes hors du temps m’ouvrit les yeux sur un regard porté sur moi depuis le milieu du service.

Il était toujours là.

Thomas avait assisté à toute la scène.

Il était infirmier, comme moi. Il savait pertinemment quels étaient les enjeux des quelques minutes passées. Je n’avais aucune idée des raisons de sa présence ici mais pour rester malgré tout, elles devaient être d’une importance considérable.

*Les normes de la glycémie sont comprises entre 0,80 et 1,20mg/dl de sang.

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