Je crois que je le fis exprès…
Prendre mon temps auprès de ma patiente qui revenait tout doucement suite à une hypoglycémie sévère ayant entrainé une chute. En même temps, elle avait réellement besoin de moi. Madame Cilorne avait recouvré ses esprits et exprimait clairement sa douleur, alternant entre pleurs et pincements de lèvres. Le faciès de la douleur.
« -Madame Cilorne, je vais appuyer sur la pompe à Morphine pour vous, dis-je en saisissant la manette qui avait échoué sur le sol avec le boitier de commande.
-Oh la la ! sanglota-t-elle. J’espère que je ne l’ai pas cassée !
-C’est le cadet de vos soucis ! Et même si elle ne fonctionne plus, nous trouverons un autre moyen de vous soulager, tentai-je de la rassurer.
-Bouhouhou ! C’est terrible Sarah ! Je n’en avais plus besoin de cette saleté ! »
Elle continuait de pleurer plus sur son sort que pour sa douleur à la hanche.
« Madame Cilorne, on va vous faire passer une radio pour comprendre l’origine de votre douleur et en fonction, on avisera. Mais pour l’instant je vous le répète, la priorité c’est de faire disparaitre cette douleur par n’importe quel moyen ! La Morphine est à votre disposition et ça tombe bien puisque c’est le remède le plus efficace ! »
Je lui tenais la main et la caressais pour tenter de l’apaiser. Le reste de l’équipe m’avait laissée seule avec elle pour donner l’alerte et organiser la prise en charge au plus vite.
Lorsque Morgan réapparut dans l’ouverture de la porte, je levai les yeux vers son joli minois orné de pépites vertes et c’est là que je le vis en arrière-plan. Ma vision mit quelques secondes à faire le point. L’accommodation prit quelques instants mais il était toujours là, au même endroit. Thomas, l’ex amour de ma vie. L’ex horreur aussi. J’avais perdu la notion du temps. Je ne savais pas depuis quand il se tenait au même endroit, dans la même position, figé et les yeux posés sur moi.
L’image que j’avais de lui, dans ma tête, avant son retour, était figée aussi mais pas ainsi. Le souvenir que j’avais de celui avec qui j’avais partagé ma vie et projeté un avenir fictif était son visage pédant du jour où je l’avais trouvé en plein ébat avec une collègue commune. Comme si c’était à moi de me sentir gênée de les avoir dérangés !
Il avait beau avoir des yeux d’un bleu à en tomber, toute sa laideur s’était révélée à moi ce jour-là. Je réalisai que finalement, même après plusieurs mois, rien n’avait changé. Si les fientes d’oiseaux avaient été bleues, c’est de la teinte de son regard qu’elles se seraient le plus rapprochées. J’avais la nausée rien qu’à le savoir à moins de dix mètres. Il était tellement moche de l’intérieur que ses pores irradiaient une odeur pestilentielle.
« -Le docteur Perrot arrive ! s’empressa Morgan. Comment vous sentez vous, madame Cilorne ?
-Mieux, mon petit, sanglota-t-elle. »
Il posa sur moi un regard interrogateur mais j’étais absorbée par mes pensées (et une puanteur qui me parvenait depuis le milieu du service).
« -Sarah ? s’inquiéta Morgan en voyant ma mine déconfite.
-Oui… » finis-je par répondre en me plongeant dans ses yeux verts et lumineux.
Il se retourna, survola du regard celui qui se trouvait quelques mètres derrière lui et comprit rapidement je crois, la cause de mon tourment. Quand il revint à moi, son visage était fermé. Comme pendant la période où il ne m’adressait plus la parole.
Et moi. Moi j’étais dans le brouillard. Vous savez quelle couleur font du bleu et du vert qui se mélangent ? Un vert plus clair ou un bleu plus foncé, me direz-vous ? Eh bien non. La couleur et un jaune caca d’oie répugnant et nauséabond.
Morgan souffla avant de me dire fermement :
« Fais une dose de Morphine, il faut réinstaller madame Cilorne sur son lit pour qu’elle puisse aller passer une radio de la hanche. »
A ces mots, les cris de ma patiente reprirent de plus belle.
« Non ! Non ! Non ! » hurlait-elle pendant que nous prenions position autour de son corps douloureux pour le transférer du mieux possible.
Des collègues étaient venus nous porter secours pour la manipulation mais dans un cabinet de toilettes de deux mètres carrés et biscornu, ce ne fut pas chose aisée. Quelques minutes plus tard, ma patiente était escortée par 2 brancardiers et Morgan en direction du service de radiologie.
Il m’adressa un dernier regard avant de disparaitre au bout du couloir. Je regardai dans sa direction jusqu’à ce que le convoi soit hors de ma vue. Je n’avais pas envie de me retourner parce que je le savais là, juste derrière moi, tout près et soudain… sa main sur mon épaule.
Tu joues avec ta vie gamin…
La nausée reprit de plus belle. Dans un mouvement d’évitement, je me retournai brusquement. Comment osait-il ?
« -Je t’interdis de me toucher ! grognai-je, dents et poings serrés.
-Sarah, je ne voulais pas te …
-Ferme là ! De quel droit débarques-tu ici ? Et comment m’as-tu retrouvée ? Qui t’a dit que je travaille ici ? ! hurlai-je presque.
– Personne… je ne savais pas… »
Devant mon air surpris, il m’interrogea du regard pour que je le laisse parler. Je restai muette car il ne m’inspirait que de la haine et j’étais sur le point de vomir sur son beau t-shirt blanc.
« -En fait, je suis là parce que…
-Ah vous voilà ! » interrompit madame Jean qui venait de sortir de son bureau.
Thomas et moi nous défiions du regard. (Je te tiens, tu me tiens par la barbicheeettttteee…). Surprise de cet échange invisible mais électrique, ma cadre passa les yeux par-dessus ses lunettes de maitresse d’école et me dit :
« Je vois que vous vous connaissez déjà ? Sarah, retournez en salle de soin pendant que je m’occupe de notre nouvel infirmier… »
Je n’eus pas le temps de courir jusqu’aux toilettes pour évacuer le reflux gastrique qui remontait de mon estomac. Un trou énorme et sombre s’ouvrit sous mes pieds et je tombai dans un vide infini qui me menait jusqu’aux entrailles de la Terre. En enfer.
L’univers de votre texte ´m’interesse et j’attends la suite de votre histoire.
Bonjour Anita, il faudra patienter pour connaitre la suite des aventures de Sarah 🙂 En revanche, vous pouvez découvrir tout le début de son histoire sur le blog à la rubrique « Sarah, Jour J » . Bonne lecture !