Valérie, canicule ou climatisation ?

Insupportable, cette chaleur !

On me dit souvent que je réchauffe les cœurs mais là, j’avoue que je me changerais bien en climatiseur high-tech…

Travailler dans un lieu qui brasse les allées et venues de centaines de personnes chaque jour, avec les ordis qui tournent à en griller une carte mère par vingt-quatre heures, est quasiment invivable en période de canicule. Ici, pas de clim’ mais de petits ventilateurs premier prix dont la durée de vie est aussi incertaine que celle du déodorant de certains de mes collègues. Parfois, je me dis que mon choix professionnel va bien au-delà de l’empathie, la disponibilité et l’investissement qu’il requiert.

Mon métier d’infirmière, je l’ai choisi par hasard au début. Enfin, c’est ce que j’ai cru pendant longtemps. En fait, ma mère est infirmière et bien que nos caractères soient clairement opposés, j’ai peut-être fait ce choix pour trouver un moyen de me rapprocher d’elle… mais motus, ça reste entre nous.

Nous sommes tellement différentes : elle croyante, moi athée. Elle sage, moi délurée. Elle aime la couleur, je ne m’habille qu’en noir. Elle est petite, je suis grande. A plus de cinquante ans, elle est en pleine forme et moi, j’en ai à peine trente et je reviens de six mois d’arrêt de travail à cause de mon genou en carton « Made in China ».

C’est comme ça, nous sommes différentes en de nombreux points mais riches de la même carte au trésor. Celle qui révèle le chemin menant à une source inépuisable de pierres précieuses. Nous sommes infirmières et chaque jour, les rencontres humaines sont d’une richesse inégalée. Ça peut paraitre un peu cliché mais même celles qui nous contrarient sur le moment nous apportent tellement au bout du compte. Un patient qui traite un médecin ou un infirmier avec mépris parce qu’il vient d’apprendre que son cancer récidive après quelques années de répit ne déverse pas sa colère sur les soignants volontairement. Il en veut à cette foutue maladie. Mais voilà, lorsque l’oncologue lui annonce la mauvaise nouvelle et que je suis assise à côté de lui, c’est ma blouse blanche portée par-dessus mon débardeur noir qu’il voit et le blanc « hôpital » devient source de haine et d’injustice pour lui.

Je suis infirmière en consultation d’hémato-oncologie. Mon quotidien professionnel est devenu mon compagnon. Je l’aime. Parce qu’il me correspond d’une part, mais aussi parce que j’ai eu tellement peur de le perdre à cause de mes capacités physiques ou plutôt devrais-je dire mes incapacités physiques.

Quatre orthopédistes différents, une dizaine de radios, scanners et autres examens, deux opérations, une cinquataine d’heures de kiné (et ce n’est pas fini), et à chaque fois, mon objectif de reprendre mon activité professionnelle qui s’éloignait. La route a été longue jusqu’à mon retour auprès des patients. Une route que j’ai parcourue pieds nus avec une jambe gauche défectueuse. Aujourd’hui je porte des semelles orthopédiques dans mes Jordan et dissimule mon attelle sous mes jeans larges.

Mais je suis bien là maintenant. Je prépare les dossiers de consultation pour les médecins. Je participe aux entretiens « d’annonce ». Je fixe les rendez-vous de suivi. Je manipule un tas de papiers tous les jours. Mon poste me permet de garder quelques soins techniques sous le coude comme des réfections de pansement ou des prélèvements. Les patients que je dois mettre sous MEOPA* pour faciliter les soins m’offrent de beaux voyages dans le monde des bisounours. A l’image de celui qui, un jour, a pris les tubes de prélèvement aux bouchons multicolores pour un arc-en-ciel et moi pour une licorne…

Après quelques années de soins intensifs puis un passage par la case « secteur privé », me voilà de nouveau en blanc dans les locaux qui ont vu naitre mes premières manipulations de seringues, mes premières poses de cathéters, mes premiers massages cardiaques…

Durant mes trois années d’études, chaque nouveau stage mettait à rude épreuve mes capacités d’adaptation et mes facultés d’acclimatation au moule exigé par chaque équipe soignante. Mais ça en valait la peine.

Et aujourd’hui, je suis heureuse d’être là, de tenir la main d’un patient, de lui adresser le sourire de l’espoir, de partager avec lui ma vision positive de la vie, de l’écouter se raconter pour l’aider à réaliser qu’il est riche de mille expériences, de me sentir à ma place tout simplement. Même si le découragement gagne de plus en plus le personnel paramédical, j’assume d’affirmer que je suis heureuse d’être là.

Je m’appelle Valérie, je suis infirmière en consultation d’hématologie et pour rien au monde je n’échangerais mon cœur caniculaire contre un climatiseur high-tech.

*MEOPA = Mélange équimolaire oxygène protoxyde d’azote) : gaz incolore, inodore composé d’un mélange d’oxygène 50 % et de protoxyde d’azote 50 % agissant par inhalation. Ce mélange est anxiolytique et procure une analgésie de surface.

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