J62 (1) : De poisse et de lave

Finalement, c’était juste prévisible.

Une évidence…

Cette poisse sur le point de faire de moi une légende vivante.


Je n’avais jamais cherché l’étymologie de mon nom de famille, Mimare, mais j’avais la certitude que dans un dialecte ancien, il signifiait « la poisse ». Un de mes ancêtres avait dû voir la foudre tomber sur sa tête, marcher dans une bouse de vache (pied droit bien sûr) et se prendre une fiente d’oiseau dans les cheveux, et tout ça simultanément s’il vous plait. Le tout au beau milieu d’une foule dense où il fallait vraiment être armé de malchance pour cumuler ces trois attaques du destin en même temps. A cet instant, la foule entière s’était tournée vers cet ancêtre initiateur d’une longue lignée de poissards et l’avait pointé du doigt en hurlant : « La poisse ! La poisse ! La poisse ! ».  Au fil du temps et par je ne sais quelle évolution du langage, « La poisse » s’était transformé en « Mimare ». D’ailleurs, je pourrais peut être proposer ce synonyme à l’académie française pour qu’il figure au panel déjà large des nouveaux mots de la langue française.

Mimare : nom féminin. Qui est marqué d’une malchance  inimaginable pour le commun des mortels.

Une semaine après le retour explosif de mon ex dans ma vie, mon travail, mon esprit, j’avançais à tâtons dans tous les domaines.

Morgan étais de nouveau entré dans une phase de bouderie intense option  « je fais comme si tout allait bien ». Mes collègues parlaient régulièrement du nouvel infirmier qui ne tarderait pas à intégrer l’équipe. Mes nuits étaient de nouveau ponctuées d’insomnies et mon estomac me donnait l’impression d’être le volcan Stromboli au bord d’une explosion de lave. Bref, j’étais stressée, fatiguée et seule.

Même mon aide-soignant m’avait fait faux bond ce jour-là et s’était fait porter pâle pour cause de gastro.

C’est donc  seule que je me rendis chambre 22 pour accueillir un patient qui sortait du bloc opératoire suite à une appendicectomie.

En arrivant dans la chambre, le brancardier qui l’accompagnait tentait de l’aider à passer du brancard au lit. Je hâtai le pas pour l’assister mais avant même que je parcoure les 4 ou 5 mètres qui séparaient la porte de la chambre du lit du patient, ce dernier s’était mobilisé avec rapidité et agilité.

Bizarre pour un opéré tout frais ! Ça change de ceux qui pleurent quand on enlève un bout de sparadrap.

Je saisis le dossier pour saluer correctement mon patient :

-Bonjour Monsieur… Picoti. Allez-y doucement quand même ! Vous venez de vous faire opérer !

-Tout  va bien, ne vous inquiétez pas. Je suis professeur de gymnastique et je connais mon corps. Si j’avais mal, je ne bougerais pas comme ça !

Puis se tournant vers le brancardier qui rebroussait chemin :

-Merci monsieur ! Vous direz bien à toute l’équipe du bloc qu’ils ont été super ! Je suis en pleine forme grâce à eux ! Les chirurgiens, les infirmières, les anesthésistes, tout le monde quoi ! Mon corps est important pour moi avec  mon métier, alors merci d’en avoir pris soin ! Tout ça me rend reconnaissant et euphorique !

Logorrhéique surtout…

Flippant ce petit bonhomme tout mince qui, en dépit de  ses 50 kilos, avait l’air bien lourd. Note pour plus tard : optimiser le temps passé dans la chambre 22 pour éviter de se retrouver bloquée entre les mailles du filet de ce causeur invétéré. Pas disposée au dialogue aujourd’hui…

Je m’approchai du lit tandis qu’il s’activait à positionner ses couverture et réitérai ma recommandation.

-Doucement monsieur Picoti. Je vais vous aider. Vous êtes là pour vous reposer et reprendre de forces après votre chirurgie.

-Merci mais je vais très bien. dit-il en fixant son regard noir sur moi.

Pendant le silence qui s’ensuivit, je sentais qu’il détaillait chaque trait de mon visage et cela me mis mal à l’aise.

-C’est drôle, ajouta-t-il sans baisser les yeux, vous ressemblez à ma femme.

Flash spécial : le volcan italien Stromboli est entré en éruption et nous recommandons aux habitants alentours d’éviter d’approcher l’abdomen  de l’infirmière Sarah Mimare dans les heures à venir…

Je continuai de lire son dossier sous ses yeux scrutateurs pendant que mon estomac se tordait sous l’effet de la lave incandescente.

Faire comme si je n’avais pas entendu, se concentrer sur le dossier, espérer une intervention divine pour me sortir de cette situation inconfortable.

Non ? Personne n’a décidé de venir me secourir ? A peine surprenant…

-Monsieur Picoti, bégayai-je, je vais voir quels sont vos prochains antalgiques et je reviens ensuite. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous n’avez qu’à appuyer sur la sonnette, dis-je en lui en désignant le boitier blanc à bouton rouge accroché à la barrière de son lit.  Besoin d’autre chose avant que je ne quitte votre chambre ?

-Oui, vous êtes sûre que la sonnette fonctionne bien ? questionna-t-il, peu convainquant sur la véracité de ses interrogations.

-Oui…pourquoi ? Essayez si vous voulez la tester en ma présence.

-Non, je vous crois.

Je tournai les talons mais il m’interrompit dans mon élan.

-Et vous savez où sont mes affaires ?

Je lui fis face à nouveau.

-Oui, dans l’armoire près de votre lit.

-D’accord. Pourriez-vous me donner mon téléphone ? Je dois appeler ma femme.

Je m’exécutai en fouillant dans ses affaires à la fraicheur pas franchement évidente… La soupline c’est en option pour les profs de gym ?

-Voilà monsieur, à plus tard, dis-je en lui tendant son portable.

-Merci, vous avez le visage et la gentillesse de ma femme !

Je souris poliment et réussis à quitter réellement sa chambre cette fois ci.

Une fois en salle de soin, je me penchai sur son dossier. Il contenait plusieurs comptes-rendus d’hospitalisation dont je ne lus pas réellement le contenu. Une entête m’interpella,  cependant, plus que les autres. Elle était estampillée « Centre hospitalier spécialisé en psychiatrie ».

La voilà, l’arrête dans le bifteck…

J’arrivai à la liste de ses antécédents médicaux : chirurgie des dents de sagesse, AVP, migraines et … schizophrénie  à tendance paranoïaque suivie depuis l’âge de 15 ans en milieu hospitalier…

En lisant le compte rendu psychiatrique, j’en sus un peu plus. Monsieur Picoti était célibataire sans enfant. Psychotique à tendance  érotomaniaque…

Donc,  ce patient me comparait à la femme qu’il n’avait pas et pouvait prendre un simple regard de l’objet de ses désirs pour une déclaration d’amour…

La journée s’annonçait compliquée mais finalement, ça devenait une habitude…

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