Tena, du jour à la nuit

« Je l’espère de toute mon âme. Que son exil et le mien n’aient pas été vains…

C’est maintenant que ça commence. Ce n’est que le début. C’est maintenant que notre histoire commence réellement. »

Je referme le livre à la couverture blanche et bleue que je viens de terminer.

Un de plus.

Je trouve étrange de terminer une histoire en disant que tout commence maintenant… Pour moi, quand quelque chose se termine, c’est fini. Point.

Cela fait deux ans maintenant que je suis à la retraite. Ma carrière professionnelle s’est arrêtée sur les chapeaux de roue. Après quarante ans de bons et loyaux services dans le même hôpital, ma carrière d’aide-soignante a pris fin entre joie et mélancolie.

Maintenant, mon quotidien est rythmé par toutes les activités que je n’ai pas eu le temps de faire avant : cours d’informatique, club pour seniors (interdiction de se moquer) et surtout, surtout, mon association d’aide aux personnes et familles en difficulté. J’y passe deux à trois jours par semaine sans compter les week-ends de récolte dans les grandes surfaces pour la banque alimentaire.

Je préparais ma retraite depuis quelque temps déjà. Mon investissement au sein de cette association s’est fait progressivement. D’abord occasionnellement lorsque j’étais toujours en activité puis à un rythme plus élevé maintenant que je n’ai plus de contraintes professionnelles.

Enfin, par contrainte, j’entends plutôt joyeuses obligations.

J’ai toujours trouvé que j’avais de la chance d’exercer ce métier. Être auprès des personnes malades a très tôt été un objectif dans ma jeunesse.

Pour moi, la vérité sur ce monde réside dans les rapports humains et l’entraide universelle. Autant la souffrance ne considère ni la couleur de peau, ni l’origine sociale, ni la culture ; le besoin d’être soutenu et soigné fait de même. Tout le monde nécessite de l’aide un jour ou l’autre. Tout le monde a besoin d’attention et de soins. Et moi, je me retrouve tellement dans ce don d’affection. La force de l’amour que je peux donner est pourtant à la mesure des cons à qui je sais dire non sans difficulté.

J’entends par là qu’il ne faut pas me voir comme une sainte non plus. J’ai exercé le métier d’aide-soignante avec passion, mais j’ai aussi eu affaire à des obstacles, humains parfois.

Sur la fin de ma carrière par exemple, ma cadre supérieure, que j’avais connue simple infirmière et que j’ai vue évoluer d’année en année m’a imposé certaines contraintes pour mes six derniers mois d’exercice. Comme si on n’avait pas voulu me laisser terminer ma carrière avec sérénité. Je garde un goût amer de mes derniers échanges avec elle. J’ai le sentiment d’avoir été vidée de mes forces et convictions sur les relations humaines avant de devoir tout quitter. Si on avait voulu me pousser au départ, on n’aurait pas pu s’y prendre d’une meilleure manière. Quand même, m’obliger à travailler en douze heures de nuit alors que je faisais partie des fervents opposants à ce rythme. Le problème n’était pas la nuit (j’ai fait l’essentiel de ma carrière à rester éveillée pendant que les autres dormaient), mais dans l’amplitude horaire épuisante. On peut croire que deux heures de plus ne changent pas grand-chose. Eh bien, moi je vous dis que la différence à soixante ans se ressent intensément !

Cependant, je préfère retenir ce que j’ai vécu de plus beau ! Le mariage d’un patient dans le service par exemple. Il était en fin de vie et nous avions fait venir un prêtre qui l’avait lié à sa compagne pour apaiser son âme avant le grand départ. L’émotion mélangée à la certitude d’une fin proche m’avait émue aux larmes.

J’ai aussi eu la chance de croiser les chemins de mes amis d’aujourd’hui. Tous rencontrés à l’hôpital, ils font mon bonheur au quotidien et ce n’est pas près de s’arrêter ! Nous sommes liés par tout ce que nous avons partagé : des nuits, des journées entières, des fous rires, des batailles d’eau et d’autre chose, des victoires sur la maladie, des revanches, des luttes menées à bien, des décès, des repas au milieu du service, des réveillons passés ensemble au détriment de nos familles, des amours, des pleurs, du soutien, des disputes, des réconciliations, des mains qui se tendent et des regards qui se détournent, des blouses déchirées et des plateaux renversés, des sourires et des larmes, de l’amour et de la méfiance, des « les autres » et des « nous ».

La vie en fait. Nous sommes liés par la vie et pour la vie.

Je m’appelle Tena, je suis aide-soignante et je le serai toujours.

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